Plurilinguisme et Migration

Publié le par fibra

Plurilinguisme et Migration

Mots clés : Langue, plurilinguisme, représentation, identité, immigration, éducation, enseignement, école, espace.

Introduction

Etudier le plurilinguisme dans le contexte d’immigration s’avère d’importance cruciale, mais aussi de difficultés énormes. Les immigrés sont des groupes appartenant à différentes cultures et ethnies, en cohabitation et en interaction sur un (des) espaces(s) donné(s). La langue véhiculaire qui domine est toujours celle de la société (précisément d’une partie dominante dans cette société) d’installation. Alors, dans les institutions officielles et à l’école notamment, une culture passe via la langue en usage. Tandis qu’à la maison et dans la rue, ce sont d’autres cultures et d’autres pratiques langagières qui circulent.

La situation migratoire incite à un travail intellectuel permanent afin de construire de nouveaux mécanismes qui facilitent la communication via l’apprentissage de la langue par une pédagogie, active et critique, qui dévoile la situation langagière dans le processus d’apprentissage et d’enseignement. La pluralité des langues dans le marché linguistique, dans le contexte d’immigration évoque nécessairement la relation existante entre la langue et la culture, la langue et les représentations. Comment est-ce que nous représentons les langues et les cultures acquises hors de la maison ? Et, comment les migrations affectent les langues et les pratiques langagières ?

Le plurilinguisme, certes, est très complexe. La relation des langues avec les sociétés diversifie les pratiques langagières et affecte les structures même des parlers. Comme nous allons voir, il n’y a pas qu’un seul plurilinguisme mais des plurilinguismes. Et, lorsque nous lions cette diversité linguistique aux migrations, d’autres facteurs interviennent pour que chaque langue occupe une place et aie un statut social. Comment, donc, rendre compte de cette diversité ? Quel est le rôle de l’Etat ? Comment est-ce qu’il possède une politique linguistique ? Quel est le rôle des réseaux sociaux, des familles et des amis ? Comment tous ceux-ci conçoivent le plurilinguisme ?

Ainsi, nous allons examiner la relation entre les comportements linguistiques et les représentations comme inspiration psychosociologique, en glissant vers le philosophique pour traiter la question d’identité en rapport avec les changements linguistiques dépendants des migrations. Dans ce contexte, l’identité est vue comme unité hétérogène, dynamique et plurielle ; l’identité sociale, du groupe et personnelle.

Notre objectif est d’éclairer les rapports noués entre la pluralité linguistique, la migration et l’identité. Comment cette situation se traduit dans les pratiques langagières ?

Bref, pas de langue pure, pas d’ethnie pure et pas d’espace vierge. Tous les parlers des migrants, quoique ce soient l’âge et le sexe, marquent des emprunts et tendent à la production de nouveaux langages.

Problématique

Les immigrés ne sont pas une unité homogène. Leur provenance de divers et multiples pays, ayant différentes cultures et langues, impose la reconnaissance de la pluralité et de la différence. Ainsi, s’imposent la cohabitation comme partage de même espace et la coexistence comme vivre ensemble en harmonie et en égalité, c’est-à- dire dans une reconnaissance réciproque qui va contribuer à fonder des lieux et des sociétés habitables. Et, cela passe par la liberté de circulation pour toutes les cultures et toutes les langues, hors de la logique de la sélection, de l’exclusion, de la relégation et de la domination.

Comment le plurilinguisme, comme réalité objective, est géré par les institutions étatiques, à l’instar de l’école ? Comment il est conçu et représenté par la société ? Quelle relation entre le sacré, le politique et les statuts des langues ? Est-ce que l’espace joue un rôle dans le statut des langues ? Peut-on avoir une langue dominée ici et dominante ailleurs ? L’espace change-t-il les rapports de forces, Comment ?

Hypothèse

Le plurilinguisme, dans le contexte d’immigration, ne pourrait pas être abordé si nous ne combinons pas les contributions de la linguistique, la sociolinguistique, la sociologie, la psychosociologie et la psychanalyse. Car, le singulier et le collectif s’interfèrent dans l’expérience migratoire. Vu l’hétérogénéité des immigrés, plusieurs dimensions interviennent pour que nous puissions les catégoriser. Ainsi, la pluralité linguistique et la multitude des cultures sont légitimes dans les sociétés à tradition démocratique, qui reconnaissent la différence, l’autonomie et l’indépendance, la liberté du choix et de décision, d’expression et d’action. C’est dans ce contexte que l’on peut parler d’une société de la différence, de la pluralité et de la diversité, comme condition de base de tout respect du plurilinguisme et de multitude des cultures, sans que leur reconnaissance aboutisse au ghettoïsme. On ne peut pas gérer le plurilinguisme sans le relier aux enjeux interculturels. La pluralité des langues et des cultures ne signifie pas une pluralité des mondes sociaux en déconnexion qui correspondent à des langues et cultures, isolés et séparés les unes des autres.

Le plurilinguisme dans l’école

Je vais m’appuyer sur l’observation du plurilinguisme dans l’enseignement, depuis le cas ici à BéniMellal de l’école Wad Almakhazen. La langue maternelle en rapport avec la (les) langue(s) de scolarisation. Je vais discuter, principalement, le plurilinguisme individuel, puisque je m’intéresse à savoir l’impact de la pluralité linguistique sur l’apprentissage et l’instruction.

Je vais essayer de répondre aux questions suivantes, comme variation de la problématique principale du travail dans son ensemble. Ainsi, peut-on considérer le plurilinguisme individuel et/ou scolaire comme obstacle ou atout d’apprentissage et d’intégration ?

L’histoire d’enseignement public au Maroc était toujours, au niveau du primaire, bilingue et plurilingue depuis le lycée. A l’école marocaine, la langue officielle et nationale était toujours l’Arabe classique. C’est après qu’on a introduit la langue Amazigh dans quelques écoles. Et, la première langue étrangère est le Français, la deuxième est l’anglais ou l’espagnol.

Donc, l’école marocaine a une tradition de pluralité dans le domaine de la langue. Reste à savoir si vraiment on a pris conscience de l’interférence linguistique et culturelle. Car, la question des langues n’est pas séparée des enjeux identitaires et interethniques, puis elle est liée aussi aux relations entre les langues dans le contexte de domination.

Prendre conscience de l’importance du plurilinguisme dans la construction et la formation de la personnalité et de l’identité personnelle et sociale de l’élève, nécessite : l’établissement du lien entre langue et culture, et la distinction entre l’enseignement d’une certaine langue et l’enseignement des matières par cette langue.

L a langue n’est pas statique, mais dynamique et plurielle en son sein, hiérarchisée et traversée par les rapports extralinguistiques, qui lui donnent son statut et sa place dans le marché linguistique où on apprécie et on déprécie, on valorise ou on dévalorise telle ou telle langue.

La liberté de circulation de la langue dépend des facteurs qui déterminent son positionnement ; comment elle se positionne et comment elle est positionnée, la place ou le statut qu’elle « se donne » ou qui lui est assigné. On ne peut pas trouver une langue marginalisée socialement et valorisée scolairement. Une langue telle que Tamazighte qui est la langue maternelle de la majorité des élèves dans l’école marocaine, est absente dans les programme( la présence actuellement est loin d’être déterminée par une vision scientifique hors de la propagande et des discours idéologiques et politiciens), et cette place qui lui est réservée dépend étroitement de sa place et de son statut comme langue dans la société et son rapport au pouvoir et aux forces en confrontations, dans tous les domaines y compris celui de l’enseignement. Ainsi, la langue est conçue comme un marqueur de l’identité quand elle est un moyen de se distinguer. C’est par la langue que l’on s’accepte et/ou on accepte, tout en traduisant nos représentations et nos convictions.

L’Arabe au Maroc domine depuis son instauration sur une légitimité religieuse et politique, prise comme slogan et stratégie de la construction de l’Etat et de la nation (le Maroc est considéré comme l’un des pays arabes ; membre de la ligue des Etats Arabes et de l’organisation islamique). Mais, la réalité sociologique et historique dit que le Maroc est pluriel. La société marocaine est plurilingue et multiculturelle. Et, la proportion des langues revient aux résultats des rapports de forces sociaux. Celui qui domine, économiquement, politiquement et culturellement, impose sa langue en la rendant légitime par l’appel à plusieurs mécanismes dont font partie les institutions étatiques y compris l’institution scolaire. Le système scolaire reproduit les mécanismes de domination depuis le rapport établi entre les langues.

Pratiques langagières dans l’école

Devant ce classement des langues suivant les rapports de domination, les enfants qui se trouvent face à une ou des langues qui ne sont pas celle de la famille, et ressentent la non confiance en soi due à l’insécurité linguistique provoquée par le sentiment de discrimination. Cette situation psychologique cause le sous -estime de soi et les difficultés dans le transfert des acquis cognitifs et langagiers d’une langue à une autre ou des autres. Ainsi, l’école doit prendre en considération la variété des langues parlées. Car, les langues d’éducation ne sont pas toutes intégrées dans le système d’enseignement. Les langues parlées à la récréation, hors de l’école, au quotidien ici et là, sont toutes des langues porteuses des cultures et des valeurs et contribuent au processus éducatif. Mais, elles ne sont pas toutes présentes dans l’école. Le système d’enseignement sélectionne les matières et les langues selon leur légitimité extrascolaire, pour ainsi reproduire les mêmes valeurs et cultures dominantes dans la vie sociale, le cas de l’Arabe, de la matière d’éducation islamique et nationale…

Je vais m’appuyer sur un entretien que j’ai réalisé avec des enfants de migration de retour qui sont scolarisés ici dans une école publique. Et, voir comment ils représentent le plurilinguisme et comment ils vivent, puisque ces six enfants parlent 3 à 5 langues. Puis, je vais voir comment le système d’enseignement se comporte avec la diversité des enfants des migrants de retour, puisque leurs origines ne sont pas les mêmes, ainsi que les cultures et les langues.

Les langues sont introduites pour véhiculer des contacts entre des personnes et des langues, dans le but de se reconnaître dans les cultures via les langues.

Les langues ou les langages sont le fruit de la pluralité. C’est au sein de la relation comme état dynamique des contacts entre multiples éléments que cette pluralité nécessite un consensus, une unanimité sur des choses communes. Ce que l’on partage.

Extrait de l’entretien avec un groupe d’élèves mixtes : 3 filles et 3 garçons. L’entretien s’est déroulé à 16h, le vendredi 12 février 2016, dans l’école Ouad Almakhazen à BéniMellal ville. Ces élèves sont des enfants des immigrés marocains de cette région et qui sont de retour. TouTEs ont été scolariséEs, là-bas et ici. Donc, ils (elles) sont touTEs plurilingues. Ils (elles) parlent et écrivent les langues suivantes : Arabe darija, Arabe classique, Italien, Anglais, Français mais, personne ne parle et n’écrit la langue Amazigh.

Ce qui important pour moi, dans cet entretien, c’est que je discute le plurilinguisme avec des personnes qui comprennent très bien le fond de la question. Car, ils (elles) ont vécu et vivent encore cette expérience. Lorsqu’ils (elles) parlent, ils (elles) expriment des idées qu’ils (elles) ont formées depuis leurs expériences singulières. Outre cela, ils (elles) ont vécu l’expérience migratoire ou bien de retour, pour ceux qui ont été néEs ici et par la suite ont rejoint leurs parents, ou bien d’immigration pour ceux/ celles qui sont néEs là-bas. Mais, même s’ils/elles sont néEs à l’étranger, ils/ elles ont parlé l’Arabe darija à la maison, elle est leur langue maternelle, mais natifs (ves) d’Italie ou un autre pays.

Entretien avec Warda (le prénom est fictif) :

« L’acquisition de plusieurs langues est une chose positive, mais l’apprentissage doit être effectué dans un ordre. »

Q. : quelle est ta langue maternelle, la première langue que tu as parlée ?

Warda : Darija en Italie, mais je sui née au Maroc. C’est après un certain temps que je suis allée en Italie où j’ai appris à parler. Et, la langue de ma famille est l’Arabe Darija. C’est elle que j’ai parlée pour la première fois, car tout le monde la parle à la maison. Et, après lorsque je commençais à sortir de la maison, je rencontre des gens, je les écoute parler entre eux/elles.

Q. : Tu as appris l’Italien où, dans un établissement préscolaire ou autodidacte, toute seule ?

W. : Je l’ai appris toute seule, c’est-à-dire par l’écoute et par les questions que je pose pour comprendre la signification d’un certain mot, puis par ma présence toujours en groupe, soit avec les membres de ma famille et leurs amiEs ou avec mes amiEs. J’ai appris beaucoup de ces rencontres.

Q. : Dans l’école en Italie, est-ce que la langue, puisque l’Italien est la langue d’enseignement, t’a créé des problèmes et des difficultés d’apprentissage ou non ?

W. : Au début, j’ai eu des problèmes mais, après je me suis habituée. J’ai appris facilement l’Italien, ainsi que d’autres langues comme l’Anglais que j’admire, à l’encontre de l’Italien. L’Italie n’est pas grand-chose, on ne peut rien faire en Italie, à l’encontre de la France ou l’Amérique. C’est pourquoi j’aime la France et je n’aime pas l’Italie.

Q. : Oui, mais je parle de la langue, de l’Italien et de l’Anglais et non pas des pays. Toi, tu parles de l’Italie et de la France. Mais moi, je te dis pourquoi tu aimes l’Anglais pas l’Italien malgré que tu la parles et tu l’écris ?

W. : Oui, j’aime l’anglais car j’aime sa structure, sa prononciation. Je l’aime aussi car, il ouvre les portes sur des horizons riches et diversifiés, ici ou là-bas. Et, c’est mieux d’être là-bas, car il y a beaucoup de différence entre l’école ici et l’école là-bas.

Q. : En quoi consiste la différence ?

W. : Dans tous les aspects.

Q. Normalement, tu connais les trois stades de migration, tu es née au Maroc, puis tu as émigré en Italie et tu es retournée après des années puis, maintenant tu fais de la migration pendulaire, n’est-ce pas ?

W. Oui, c’est ça.

Q. Alors, tu as une expérience migratoire, comment donc, tu vois la migration ?

W. Pour moi, la migration construit une personnalité solide, car on passe par des situations qui nous marquent positivement ou négativement. Et, on apprend et on tire des leçons des voyages, des voisins, des collègues à l’école, des enseignants, on se confronte, on s’aime, on se déteste, on se pardonne et on se quitte. Un migrant est toujours une personne semblable à un oiseau. Impossible de trouver un oiseau qui aime rester tout le temps dans son nid. Lui, il est fait pour voler, pour changer toujours des lieux. Pareil pour un migrant, c’est une personne qui aime voir d’autres lieux, d’autres sociétés et avoir des expériences.

Q. Tu as dit dans un entretien avant que tu aimerais continuer des études en France, n’est-pas ?

W. Oui, c’est ce que je vais faire après.

Q. Est-ce que tu aimes la France ou les études en France ?

W. Moi, j’aime la langue française, et j’aime la France même si je ne l’ai jamais visitée.

Q. Et, comment tu l’aime sans la connaître ?

W. Je regarde la télévision et j’entends les gens en parler.

Q. C’est quoi la crise dont on parle partout ; dans les journaux, la télé, la vie quotidienne, partout, c’est quoi la crise pour toi ?

W. Oui, je comprends la crise dans le sens où il n’ y a pas du travail et on ne peut pas vivre correctement. C’est pourquoi lorsqu’on ne travaille pas, on ne gagne rien, on vit des problèmes et on vit dans la crise. Nous sommes en crise quand on ne détient pas de solutions à nos problèmes.

Q. : Maintenant, tu parles l’Arabe darija, l’Arabe classique, l’Italien, le Français. Pour toi , est-ce que c’est bien d’avoir plusieurs langues, être plurilingue, car ça améliore les conditions d’apprentissage et aide à posséder un esprit ouvert à la différence ou bien, au contraire, ce n’est pas bien d’être plurilingue, car ça perturbe le processus d’apprentissage et affecte l’acquisition de la langue, vu la pluralité et l’errance entre les langues. Est-ce que le plurilinguisme est positif ou négatif pour l’individu/ apprenant ?

W. : L’acquisition de plusieurs langues est une chose positive mais, l’apprentissage doit être effectué dans un ordre.

Q. : Comment dans un ordre ? Qu’est-ce que tu entends par ordre ?

W. : C’est-à- dire ; commencer par apprendre la langue maternelle puis, les autres successivement, pour ne pas mélanger les choses. Ce qui est important dans l’apprentissage de plusieurs langues, c’est la possibilité de connaître plusieurs personnes. C’est bien de savoir comment les autres parlent et comment ils vivent. J’ai des amiEs, car je pars toujours en Italie pendant les vacances, ma famille est encore là-bas. J’ai des amiEs de différentes nationalités, et j’aime parler beaucoup de langues, car j’apprends toujours des autres, et je deviens petit à petit riche dans ma tête. Tu vois on peut être riche, avoir de l’argent puis, après on peut tomber dans la crise et on perd tout, donc le bonheur vécu était une illusion. Ce n’est pas toujours l’argent qui compte, mais ce qu’on apprend du culturel chez les autres via leurs langues, devient source d’une accumulation et d’un bonheur, d’un plaisir du savoir et de sa requête pour la construction d’une identité universelle et singulière. Même dans la religion, par exemple, oui je suis musulmane, mes parents et tout, mais je respecte la religion des autres, je ne vais pas dire : tiens ! Je ne vais pas leur parler, ni apprendre leur langue, car ils ne sont pas des musulmans comme moi. Non, c’est dieu qui sait, et moi, je parle leurs langues pour leur dire que j’aimerais les connaître, pour ne pas les juger, les rejeter et les détester. Ce n’est pas vrai, car tu travailles avec eux, tu fais l’école avec eux, tu les rencontres dehors. Tu vois, je suis obligée, dans tous les cas, de connaître plusieurs langues pour connaître les gens qui les parlent et pouvoir aller dans des lieux à différentes langues, sans confronter les problèmes de communication. Tu t’adaptes très vite lorsque tu parles la langue des gens avec qui tu cohabites ou tu travailles ou tu étudies. La langue rapproche les gens. Donc, tu es plurilingue, tu acceptes entendre des points de vue différents, tu reconnais l’autre, tu formes un esprit de la différence, un esprit critique.

Les langues sont l’alimentation de l’esprit, comme le fait le manger avec le corps. Si on a beaucoup lu, on aura une multitude d’idées et de connaissances. Si on lit avec plusieurs langues, ça devient formidable, car on contacte la source et non pas ce qui est traduit. Avoir beaucoup de langues permet de bien comprendre les choses comme elles sont dites et non pas comme elles sont traduites. Voilà, c’est comme ça je vois les choses. Merci à toi. (Fin de l’extrait).

L’analyse de l’extrait d’entretien

Depuis cet exemple, vu la longueur de l’entretien, j’ai essayé de prendre l’essentiel comme extrait, afin de pouvoir parler de la représentation du plurilinguisme chez les élèves plurilingues de migration.

Cet entretien est traduit de Darija au Français par moi-même. J’ai traduit les idées que Warda a transmises. Lorsque j’ai écrit : « …esprit critique », elle a dit : « Mlli taykoune 3ndk bzzaf d lloghate, taykoune 3ndk ou tatrbbi wahd rass mtfth, t9dre tsnt li ayyi wahde o tfhme ache taygoule lik, bla ma y goulo lik rah gal ».

Le point de vue de cette élève est d’une valeur importante, car elle a souligné plusieurs points avec cohérence. Elle relie l’apprentissage des langues à la culture, lorsqu’elle dit qu’elle parle les langues des autres pour leur dire qu’elle aimerait les connaître. Le plurilinguisme chez elle, mène à la rencontre, aux relations sociales. Ce qui est selon elle une chose positive de nouer des rapports sociaux via les langues, pour se connaître et éviter les préjugés. Elle a considéré le plurilinguisme, comme source de la différence et de l’apprentissage des langues, mène à la reconnaissance de la différence. Puis, elle lui a donné un sens aussi fonctionnel, lorsqu’elle a dit que le fait d’avoir plusieurs langues facilite le voyage et la communication lors des changements des lieux et des contextes.

Elle a souligné une chose très importante, c’est la traduction. Elle a dit : « avoir beaucoup de langues permet de bien comprendre les choses, comme elles sont dites et non pas comme elles sont traduites ».

Puis, elle a lié la crise au chômage et à l’incapacité de résoudre les problèmes.

Depuis ce cas, je peux dire que le plurilinguisme associé à l’inter culturalité est la résolution de tous les problèmes des mentalités que l’on ne peut pas changer par décret ou décision politique. Lorsqu’il s’agît du culturel et du social, c’est une question des valeurs et celles-ci sollicitent du temps pour qu’elles soient mises à terme. C’est pourquoi l’école reste toujours le premier lieu véritable du changement à moyen et à long terme. Par elle on évalue et on apprécie les valeurs humaines, universelles, tout en respectant la différence en lui permettant de se manifester, pour ainsi avoir une école qui travaille dans le sens d’épanouissement et du développement de l’intelligence des écoliers. La première des choses est que l’école doit être conçue comme espace partagé, comme espace des cultures, des langues, des comportements , des attitudes et des habitudes à natures différentes. Ce qui signifie que l’école est, de par sa nature, hétérogène. Et le fait d’imposer une certaine culture, comme dominante en surplombant sur les autres, affecte le processus éducatif et d’apprentissage.

A l’école, on éduque, on enseigne, on détruit, on reconstruit et surtout, on aide l’élève à se donner sa propre forme et à être autonome et indépendant. Il n’y a pas d’école hors des valeurs. Donc, les dimensions philosophiques et politiques lui sont intrinsèques. Ainsi, impossible de concevoir l’école séparée des projets sociétaux. Le projet de société passe par l’école où la légitimité de la liberté ou de la docilité et de l’asservissement dépend de la nature de ce projet.

Malgré que l’école marocaine est plurilingue, dans le sens où elle reconnaît plus qu’une langue dans son fonctionnement. Comment le plurilinguisme est conçu et quelle place occupe chaque langue ?

L’école marocaine reflète la situation générale dans la société. Le système d’enseignement est fragmenté en deux : public et privé, formel et informel. Ce qui nous intéresse ici plus, c’est l’école publique où la responsabilité de l’Etat est primordiale, car l’école est une institution sociale, mais surtout étatique conforme au projet global. Ainsi, vu la société marocaine, à l’instar de toutes les sociétés du monde, est plurielle, composée historiquement des ethnies différentes, des langues différentes et étendue sur des espaces différents. Alors, pourquoi dans l’école, on établie une certaine hiérarchie et on utilise une langue en excluant les autres, malgré leur légitimité sur laquelle elles s’assoient, c’est-à-dire qu’elles sont des langues d’éducation, puisqu’elles sont omniprésentes, mais ne sont pas des langues d’enseignement. Autrement dit, elles sont légitimes et non pas légales. Elles ont une légitimité sociale, culturelle, historique et économique mais, elles n’ont pas de place dans l’enseignement. C’est ce qu’on appelle la discrimination.

Cette discrimination dans l’école reflète le statut des langues et leur place dans le rapport de forces dans la société. La langue qui domine est celle qui véhicule l’idéologie dominante, tandis que les autres sont reléguées au dernier rang ou ne sont pas du tout reconnues. La langue Amazigh, par exemple, est reconnue avec timidité, hésitation, non confiance, dépendance aux positions politiques et idéologiques. C’est une reconnaissance partielle. Mais, la reconnaissance ne peut être en détail, soit reconnaissance/ visibilité soit non reconnaissance/ invisibilité.

Cette schizophrénie marque toute la société, depuis la pénétration coloniale. La continuité du passé, la non rupture, la dualité : moderne / traditionnel. Leur coexistence, l’attraction du modèle occidental et l’incapacité des modes traditionnels, leur faillite, leur effondrement et leur intégration à la logique du modèle occidental comme mode de production capitaliste. Donc, nos sociétés se sont déplacées de la différence au sous-développement, à la dépendance qui signifie l’absorption. Ainsi, l’école fonctionne selon les visions et les expériences du système d’enseignement français. Le France existait et existe encore, comme langue principale, elle est présente dans tous les établissements, dans l’école. Et, l’arabisation est un exemple de l’impact de l’idéologique. Si le Français est là, c’est parce qu’elle est la langue de la France. La présence de la France au Maroc est extralinguistique. C’est-à-dire une relation complexe des rapports de forces et de domination. L’Arabe quant à elle tire la légitimité de sa présence ou de son imposition, de la relation à la religion (l’Arabe est sacrée, car elle est la langue du coran). Et, la politique de l’Etat, du Makhzen comme structure traditionnelle du pouvoir, à la l’Etat actuel la légitimité politique et symbolique repose sur le sacré. Ce qui fait que la langue n’est pas hors de divers enjeux : culturels, politiques, ethniques, nationaux et internationaux. Donc, l’école doit inclure l’inter culturalité et la combiner au plurilinguisme, pour ne pas produire des gens qui parlent des langues mais, qui ne peuvent pas penser dans la langue, à l’intérieur de ses profondeurs culturelles. Penser la langue pour pouvoir dévoiler sa portée et partir des premiers instants de la rencontre jusqu’au stade de la reconnaissance réciproque. Cela est possible dans une ambiance de satisfaction, de joie, de désir et d’amour de tout ce que l’on fait. C’est possible dans des lieux libérés de l’autorité quoique ce soit sa forme. Des lieux de construction de l’autonomie et de la liberté.

Conclusion

Nous avons vu que malgré la présence de plusieurs langues dans le système d’enseignement marocain mais, la reconnaissance du pluralisme en combinaison avec la multitude culturelle, n’est pas effective et n’est pas pensée. On réduit le plurilinguisme à la possession et l’utilisation de plusieurs langues. Mais la langue n’est pas neutre, comme disait Bourdieu. On ne peut pas dissocier la langue de la culture, des cultures.

Enfin, nous pouvons dire en s’appuyant sur l’entretien réalisé, que le plurilinguisme nécessite une refondation de la conception sur l’école ; c’est-à-dire la penser et la fonder sur des piliers scientifiques et non pas idéo-politiques. Penser l’école selon les questions qu’elle se pose. La question scolaire doit être traitée par les sciences humaines et sociales. L’école doit être contre la logique sélectionniste. C’est cette logique qui discrimine et rejette, une logique aussi qui vient de loin, de la société ayant tendance individualiste. Car, on sélectionne selon des critères et ceux-ci sont déterminés hors de l’institution scolaire.

Nous pouvons dire que les migrations sont un des facteurs qui favorise et impose la légitimité et la reconnaissance du plurilingue et de multitude culturelle.

Bibliographie

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- Elisabeth Bautier, « Pratiques langagières et scolarisation », Revue Française de Pédagogie, n0 137, octobre-novembre- décembre 2001, 117-161.

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- Pierre Bourdieu, « L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture », in : Revue française de sociologie, 1996, 7-3. Les changements en France, pp.325-347.

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